Ses lèvres s’élargissent. Elles sont rouge sang. Devant son
visage, blanc comme une neige de février, coulent des mèches à la noirceur
d'une nuit sans lune. Elle est l’hiver, le froid vivifiant, une fuyarde
endormie sous les branches basses d’un sapin cerné de givre.
Les doigts de la blonde qui m’avait embrassée se resserrent
sur mon poignet. Elle m’attire à l’intérieur. La porte claque sur mes fesses.
Je connais ces filles, mais d’où ? Je n’ai pas la force de lui opposer la
moindre résistance. J’entends le bruit de mon escarpin qui heurte le plancher
et je me dis qu’elle pourrait faire gaffe, ça coûte une blinde ces machins-là...
Franchement, j’ai rien de mieux à penser en ce moment qu’à cette foutue chaussure ? Je dois
avoir un truc avec les souliers. Ça me rappelle que je ne sais même pas comment je
m’appelle… Comment elle a dit, la brune ? Cendrillon… Va pour Cendrillon,
alors. Les questions embrouillent mes pensées. Je tente d'articuler quelques
interrogations maladroites, mais l’index de la brune se pose sur ma bouche
comme un papillon. Elle se tient debout devant moi. Sa beauté me subjugue.
J’entends dans mon dos le bruit d’une étoffe qui tombe sur le sol. La blonde a
fait glisser à ses pieds sa robe à la coupe surannée. Elle est nue. Sa peau est
couverte de tatouages. Un lapin qui court, une chenille dodue qui fume, un chat
qui se marre… Il y en a vraiment partout.
Stress by Justice on Grooveshark
Je reprends conscience au milieu d'un carrefour quand le chauffeur du taxi qui vient de piler devant moi dilue sa montée d'adrénaline dans une bordée d'injures en wolof. Je plonge mon regard dans le siens. Ses yeux sont jaunes. Je les distingue, noyés dans la lumière glacée de son plafonnier. Ce mec me hait. Il ressemble à un diable. Le nez de sa cliente a dit bonjours à l’appuie-tête du siège passager. Je ne n'essaye pas de discuter. Mes jambes se mettent en action et me ramènent sur le trottoir. Où je suis ? Il fait nuit. Putain, il me manque une chaussure. Le reflet d'une vitrine me renvoie la gueule d'un spectre. Le col de ma chemise est souillé. Je baisse les yeux. Merde, du sang ?! J'ouvre mon manteau... J'ai égorgé un porc récemment ou quoi !? Je le referme aussi sec et je me mets à marcher. Dans une direction au pif. Mon cerveau explose. Panique totale. Pendant un quart d'heure, j'avance. Je bouscule des gens, je grille des feux. Je m'étale sur une famille de Roms posés sur un matelas. Ils m'insultent dans leur langue. Je me mets à courir. Pas longtemps, parce que je fume et je dois reprendre mon souffle, les yeux rivés sur le bitume. Le sol est vert. Je lève le regard. Un pub. Avant d'entrer, je tâte machinalement les poches de mon manteau : de la gauche se sort un cylindre de plastique contenant une pellicule photo ; de l'autre une liasse de billets de Monopoly violets. J'y regarde d'un peu plus près. Je les remets dans ma poche immédiatement. Des 500 €, j'en avais jamais vu un en vrai. J'entre dans le pub.
Quelques nouvelles sur les developpements récents de mes divers projets :
Space T.R.U.C.K.: l'Étoile de métal a été proposé à quelques maisons d'éditions. Pour l'instant les retours ont été négatifs chez Walrus, le Bélial et Fiction (on va dire avec mention honorable). Je suis encore en attente d'un retour de la part de La Matière noire qui semble avoir bien aimé le pitch. C'est déjà ça. Il ne leur reste plus qu'à lire le texte et me dire ce qu'ils en pensent. Je l'ai aussi envoyé chez Story Lab, mais pas de nouvelles non plus. Donc pour l'heure je mise tout sur la matière noire.
Hashtag menu : mon dieu j'ai honte. Cela fait dix huit mois que je suis dessus... Je me donne, on va dire, six mois pour terminer le premier jet par ce que j'ai vraiment envie de passer à autre chose. Me connaissant si j'attaque une autre histoire, même courte, je ne terminerai jamais ce texte. Et ça serait dommage par ce qu'il commence à prendre une belle forme... Et la scène de fin, si je ne vautre pas trop devrait être extra.
Donc j'avance péniblement, une petite heure le matin quatre fois par semaine. Je progresse dans l'histoire, je reviens sur ce que j'ai écrit, je fignole des passages. Le travail ne manque pas. Les idées non plus. Juste le temps de cerveau disponible et surtout le courage. C'est vraiment un sacerdoce... Enfin, j'en fait un sacerdoce, vu la façon dont je procède. Je n'aurais je pense qu'à enchainer 3 ou 4 grosses séances pour abattre le plus gros du travail. Mais c'est comme la bibliothèque je suis entrain de construire dans le salon. J'en ai fait la moitié en trois jours, et ça fait des semaines que le reste des planches attendent que je veuille bien leur mettre un coup de scie sauteuse... C'est rageant. Y'a toujours un truc, un empêchement, une obligation, une invitation, une maladie.
Bon après le bon point, c'est que même si je suis inactif sur le blog depuis un moment, je n'ai pas lâché le rythme coté écriture. Non, ce qui me manque c'est d'arriver à caser des grosses sessions. Le problème avec des sessions courtes, c'est que le temps de s'y mettre, le temps de se chauffer, d'entrer dans l'histoire et de chopper le rythme, c'est déjà la fin. Du coup en plus d'écrire pas grand chose, ce que j'écris n'est pas non plus super... Mais bon, je le réécrit en mieux à la séance d'après ! De quoi je me plains.
"Il avait eu son lot de
scènes de crime glauques, de familles décimées, d'enfants mutilés, et
de cadavres en piteux état repêchés dans la Seine. Ici tout était précis, pas de sang qui
n’ait été cuit. Les rigoles creusées entre les carreaux blanc poussiéreux
avaient guidé ce qui avait coulé dans des regards. Les découpes
étaient précises. L’esthétisme ambiant et la mise en scène
créaient un rapport au massacre distancié; un rapport de spectateur insupportable. Insupportable aussi les plaintes bestiales de ceux qui n'étaient pas morts... Ceux qui au fond de la pièce étaient enfermés nus dans
des cages individuelles d’acier inoxidé. Ils étaient une petite
dizaine. À se cogner aux barreaux, à montrer les dents. Essayant de
mordre ceux qui tentaient de leur venir en aide. C’est pour cela
certainement qu'ils y étaient encore se
dit Gutenberg. À leur pieds quelque restes, ossements mâchouillés dont la
nature ne faisait pas de doute et des excréments. C’est donc pour eux qu’on avait
cuisiné les corps... Insupportable, enfin, les odeur mêlées de chaire en putréfaction et de merde. Elles prenaient directement aux yeux, les faisant pleurer.
Une main vint se poser
sur l’épaule de Gutenberg."
Comment ça une main ? D'ou ça sort ? Qui pose cette main d'abord ?
Merde me dis-je en repoussant mon clavier. Qu'est ce que je fais là ? Je n'avais pas prévu d'incorporer un personnage ici, moi. Me voilà bien. Et qui c'est, ce personnage qui s'invite ? Homme ? Femme ?
Il n'est déjà plus question de virer cette dernière phrase. Le mal est fait. Un personnage est là tapis dans l'ombre attendant que je le révèle.
Guthemberg a une main sur l'épaule, et moi, deux sur les yeux.
Qui c'est ! raisonne dans ma tête une voix d'enfant.
Pas question de battre en retraite...
J'ai mis deux semaine à trouver qui était ce personnage. Deux semaines, à ne penser qu'à ça. Homme ? Femme ? Flic ? Juge d'instruction ? Boucher ? Stagiaire ? What the fuck...
Tourner l'histoire dans tous les sens. M'interroger, gratter, sonder, ce qui au fond de moi, m'avait poussé à faire atterrir une mais sur une épaule, comme un cheveux sur la surface grumeleuse d'une soupe. Ce personnage devait en valoir la peine. C'était la première question à régler. Est-ce-que c'est un figurant qui passe, ou un personnage plus important ? Si cela avait été un figurant, je serai passé dessus sans m’arrêter. Donc c'est un personnage, un vrai.
Le construire, le créer de toute pièce fut jouissif. Je suis partis dans cette histoire, je l'ai déjà dit sans trop savoir ou j'allais. Pas la fleur au fusil, mais j'étais monté un peu léger. Il me manquait beaucoup de choses et certaines des idées de départ étaient mauvaise. Ce personnage est tombé à pic. Il m'a permis de reprendre l'histoire, de l'étayer, d'explorer des voies que je n'avais pas vraiment osé considérer. Et surtout ça m'a fait un bien fou.
Je n'étais pas dans des disposition géniales pour écrire. Bosser 12h par jour, ne permet pas d'avoir la fraicheur d'esprit pour faire du bon travail. Résoudre l'énigme de mon invité mystère était l'occupation idéale pour ne pas avoir l'impression de perdre mon temps. Visualiser la main, le bras, l'épaule, le visage, l'histoire. Que tout s'imbrique avec le reste.
Et maintenant il est là. Il existe. Il va hanter ce récit. Personnage squatteur, non invité, mais finalement bienvenu.
De retour après presque deux mois de pause... Deux mois passés à la machine
à laver du boulot. Dans ma branche (jeux vidéo), on peut avoir des sessions de
production durant lesquelles on ne voit plus le soleil. C'est ce qui m'est
arrivé ces deux derniers mois.
Deux mois à gérer des tombereaux de merde, à décharger des carrioles de fumier,
à s’aplatir d'un coté, gueuler de l'autre, à prendre sur sois, à essayer
d'anticiper ce qui sera mal compris... Ça use.
L'analogie de la machine à laver est assez vraie dans le sens ou j'en sors
lessivé. J'ai essayé de me remettre à écrire dès que j'ai pu, mais j'avais tout
perdu. Plus la même imagination, plus de vocabulaire, plus d'idées... j'enfile
les mots comme des perles. Je me rabats sur des phrases toutes faites et
passes-partout que j'arrive d’habitude à proscrire... Bref, la machine à créer
est grippée.
Il va falloir travailler cela, déjà avec un peu de repos. Reprendre la
lecture, reprendre les ateliers d'écriture, et écrire, écrire écrire, beaucoup.
Et bien aussi. Ça commence ce soir.
J'ai déjà quelques postes en préparation. Vous devriez me revoir assez
rapidement.
Le point final, enfin. Un an de taf de manière plus ou moins assidue
derrière le clavier. Mais je n'arrive pas à bosser autrement. J'ai besoin de
laisser les histoires mijoter, à feu doux, dans un coin de ma tête.
Il m'est arrivé de partir de chez moi pour mon atelier d'écriture, et de
mettre en place à la phrase près ce que j'allais écrire pendant l'heure et
demie qui allait suivre. Je n'avais pas posé une fois les doigts sur le clavier
de mon ordinateur dédié à l'écriture, mais la partie que j'allais écrire ne m'avait
pas quitté de la semaine. Pendant que je faisais la vaisselle, pendant la
douche, et finalement sous la fine pluie qui m'accompagnait sur le
trajet.
Le rapport avec l'eau dans le processus de création est assez présent chez
moi. Je l'ai remarqué depuis un bon moment. C'est en contact avec de l'eau, d'un
courant, que les meilleures idées me sont venues. Va comprendre Charles. On a
tous nos modes de fonctionnement. J'imagine qu'en se fixant sur un courant régulier
les petits ressorts et les petites clavettes qu'on a dans le crâne se mettent en place comme il
faut.
Tout ça pour dire que j'en ai terminé avec ma nouvelle de science-fiction,
mon Space opera Rock dont le titre de travail est toujours Supernaut. Il est en
relecture pour les derniers arrangements qui j'espère ne seront pas trop
drastiques. Je vais pouvoir enclencher la phase de teasing.
C'est compliqué de trouver des gens pour vous donner un avis sur vos textes.
Des gens suffisamment proches ou éloigné de vous pour mettre le doigt où ça fait mal, et
qui ont l’expérience nécessaire pour vous dire des choses que vous ne savez pas
déjà sur votre texte, ou qui voient clair dans vos petits arrangements avec le
style.
D'une manière générale, c'est étrange de faire lire ses textes. On veut un
avis, et quand on l'a on n'est jamais content. J'imagine que c'est surtout vrai
au début. À la longue on sait gérer cette phase de relecture. Mes premiers
textes, il fallait que je les fasse lire à tous le monde. Et derrière je me
retrouvais avec des commentaires sympathiques et polis dont je ne savais trop
que faire. Je savais que ce que j'écrivais n'était pas extraordinaire (en tout
cas pas tout le temps), mais je ne savais en quoi, je ne savais pas ce qu'il
manquait pour que ça soit bon. Qu'est-ce qu'il a de plus que moi ce Stephen
King !
À la longue on prend du recul, on relit des vieux textes, qu'on a pris le
temps d'oublier. Et la y'a deux écoles.
La première : whow ! qu'est-ce que c'est que cette merde ! J'ai commis ce
truc ! et en plus je l'ai fait lire ?! Et je me suis fâché avec des potes pour ce machin !!!
La seconde : Mmmm pas mal du tout. Dis donc, t'as du style mon cochon.Graou graou.
Donc voilà dans quelques années quand je me replongerai sur Supernaut, je me
dirai soit l'un soit l'autre.
En attendant je dois passer à autre. Chose. Bye bye sci-fi, hello horreur.
Je vérifie pour la troisième fois le niveau de la batterie de mon
enregistreur... Il ne s’agirait pas qu'il me lâche maintenant... Il tarde à
s'allumer, je tape dessus du plat de la main en étouffant un juron. Saleté de
techno. C'est bon pour la batterie. Stylo ok. Mes questions... Bordel mes
questions où j'ai fourré mes questions... Dans mon carnet, forcément, avec mes
notes. Ouf.
Je passe la porte du Black Dog, ou le capitaine m'attend à une table près du
billard. L'intensité des lumières ne cesse de varier comme partout dans le
vaisseau, plongeant le bar dans une ambiance de fin du monde, finalement pas si
éloignée de la réalité. Je me racle la gorge... J'y vais, mais j'ai
peur...
- Bonjour capitaine, merci de m'accorder le temps de cette interview. Je
sais que vous êtes débordés en ce moment.
- Tu te fous de ma gueule ? (le regard qu'il me jette en rendu encore plus
menaçant par les cernes qui le soutiennent)
- Euh je... Non c'était pour être poli... Et les lecteurs ne sont peut-être
pas tous au courant de la situation du Supernaut.
- Et ben on les emmerde.
- Euh si vous voulez... Je couperai cette partie. Donc, hum hum. Bonjour
capitaine Nox. L'heure est grave, le Supernaut est en perdition, et malgré cela
vous trouvez le temps de vous plier au jeu de l'interview. Les lecteurs de Rock
& Space Magazine apprécieront, j'en suis sur, ce geste. Un mot peut
être pour nos lecteurs ?
- J'ai le respect le profond pour les lecteurs de R&SMag. Sans nos
fans, nous ne serions rien de plus qu'un gigantesque vaisseau explorateur,
tordant l'espace pour mettre le nez là où certains ne mettraient pas le pied.
- Ah ah, comme c'est bien dit.
- C'est de moi.
- Donc si je peux résumer votre état civil rapidement, vous êtes le
Capitaine Ezechiel Nox, seul maître à bord du Supernaut... (il me coupe)
- Après les dieux du rock, oui.
- On vous surnomme Zekke...
- Prononce ce nom encore une seule fois et je te fais bouffer par le cul
cette bouteille de Jack Daniels !
- Je suis désolé, j'avais lu sur mes fiches que... (il m'interromp, se
rassoie et repose la bouteille de Jack Daniel au milieu de la table)
- C'était il y a longtemps. On ne m'appelle plus comme cela.
- Eu, ok... Donc vous êtes célibataire, diplômé de physique musicologique,
sortis lead de votre promotion à l'école militaire de Nashville, et débutez
votre carrière comme second à bord du Crystal Ship...
- Ouai, j'aurai pas pu tomber plus mal... Putain de hippies. J'ai tenu 5 ans
à écouter cette mélasse. Je carburais au speed pour tenir, tu peux pas imaginer
ce que c'est. Dès qu'un poste s'est libéré sur le Supernaut, j’ai pas hésité.
- Vous avez servi sous les ordres du capitaine Gregory Loomis pendant 10
ans...
- Un putain d'enculé de première si tu veux mon avis. Mais le Supernaut est
un putain de vaisseau de première lui aussi, alors ça aurait pu être le diable
aux commandes, ça aurait quand même valu le coup.
- Vous lui succédez ensuite lorsqu'il est mis en retraite anticipée suite à
une succession d'actes d'insubordination et même de mutinerie à l'égard de
l'état-major...
- Loomis gênait en haut lieux, c'était une décision purement politique. De
temps en temps les huiles de Nashville éprouvent le besoin de nous rappeler que
c'est eux les patrons...
- Oui enfin un capitaine qui se mutine, ce n’est pas banal... (il me coupe)
- La situation était compliquée. C'est tombé sur Loomis ce coup-ci, ça
aurait pu tomber sur un autre.
- Comme, par exemple, sur Steevy Ray Nash, capitaine du Travelling Band
?
- Continue comme ça petit, tu me ferais presque bander.
L'ambiance se détend un peu, ouf, l'interview peut se poursuivre...