vendredi 28 février 2014

Nuit d'ivresse (la suite)




Ses lèvres s’élargissent. Elles sont rouge sang. Devant son visage, blanc comme une neige de février, coulent des mèches à la noirceur d'une nuit sans lune. Elle est l’hiver, le froid vivifiant, une fuyarde endormie sous les branches basses d’un sapin cerné de givre.

Les doigts de la blonde qui m’avait embrassée se resserrent sur mon poignet. Elle m’attire à l’intérieur. La porte claque sur mes fesses. Je connais ces filles, mais d’où ? Je n’ai pas la force de lui opposer la moindre résistance. J’entends le bruit de mon escarpin qui heurte le plancher et je me dis qu’elle pourrait faire gaffe, ça coûte une blinde ces machins-là... Franchement, j’ai rien de mieux à penser en ce moment qu’à cette foutue chaussure ? Je dois avoir un truc avec les souliers. Ça me rappelle que je ne sais même pas comment je m’appelle… Comment elle a dit, la brune ? Cendrillon… Va pour Cendrillon, alors. Les questions embrouillent mes pensées. Je tente d'articuler quelques interrogations maladroites, mais l’index de la brune se pose sur ma bouche comme un papillon. Elle se tient debout devant moi. Sa beauté me subjugue. J’entends dans mon dos le bruit d’une étoffe qui tombe sur le sol. La blonde a fait glisser à ses pieds sa robe à la coupe surannée. Elle est nue. Sa peau est couverte de tatouages. Un lapin qui court, une chenille dodue qui fume, un chat qui se marre… Il y en a vraiment partout.


mercredi 19 février 2014

Nuit d'ivresse

Stress by Justice on Grooveshark
 Je reprends conscience au milieu d'un carrefour quand le chauffeur du taxi qui vient de piler devant moi dilue sa montée d'adrénaline dans une bordée d'injures en wolof. Je plonge mon regard dans le siens. Ses yeux sont jaunes. Je les distingue, noyés dans la lumière glacée de son plafonnier. Ce mec me hait. Il ressemble à un diable. Le nez de sa cliente a dit bonjours à l’appuie-tête du siège passager. Je ne n'essaye pas de discuter. Mes jambes se mettent en action et me ramènent sur le trottoir. Où je suis ? Il fait nuit. Putain, il me manque une chaussure. Le reflet d'une vitrine me renvoie la gueule d'un spectre. Le col de ma chemise est souillé. Je baisse les yeux. Merde, du sang ?! J'ouvre mon manteau... J'ai égorgé un porc récemment ou quoi !? Je le referme aussi sec et je me mets à marcher. Dans une direction au pif. Mon cerveau explose. Panique totale. Pendant un quart d'heure, j'avance. Je bouscule des gens, je grille des feux. Je m'étale sur une famille de Roms posés sur un matelas. Ils m'insultent dans leur langue. Je me mets à courir. Pas longtemps, parce que je fume et je dois reprendre mon souffle, les yeux rivés sur le bitume. Le sol est vert. Je lève le regard. Un pub. Avant d'entrer, je tâte machinalement les poches de mon manteau : de la gauche se sort un cylindre de plastique contenant une pellicule photo ; de l'autre une liasse de billets de Monopoly violets. J'y regarde d'un peu plus près. Je les remets dans ma poche immédiatement. Des 500 €, j'en avais jamais vu un en vrai. J'entre dans le pub.