mardi 16 septembre 2014

Le chasseur et la dryade


Le cri du chasseur, déformé par la vase amère qui encombrait sa gorge, déchirait la nuit. 

« A l’aide ! s’il vous plait, mademoiselle ! »

Sébastian regrettait sa légèreté, son oisiveté fatale. Le tissus alourdi de boue de sa tunique lui entravait les membres. L’onde puante, froide comme les doigts de la mort, l’avait capturée. Et elle ne lâcherait pas sa proie aisément.

« Pour l’amour de Dieu, mademoiselle ! »

Le visage du chasseur, blanchi par la peur et les rayons de la Lune, se détachait sur l'épaisse surface noire du marais, tapis au plus profond des bois.
Sébastian avait marché tout le jour. À en oublier la chasse et ses compagnons. Il s’était éloigné des sentiers, captivé par le ballet lent des arbres et des feuilles croisant la lumière du jour. Mais le soir vint, puis la nuit. Le malheureux était perdu.


Avec l’obscurité, vient la peur, celle qui étreint puis tord les entrailles. Celle qui fait accélérer le pas jusqu’à le rendre aérien. Celle qui transforme peu à peu une marche tranquille, en une course effrénée à travers les branches basses et les buissons acérés. 

Éclairé seulement par la lune et aveuglé par la peur, Sébastian avait fini par trébucher, par glisser dans le marais. Pris de folie, il n’avait pas su rejoindre la berge, s’enfonçant plus profondément dans cette bouche sans dents.

« Je sombre, mademoiselle »

Il lutta ainsi durant des heures. La vase et la boue gagnaient du terrain le long de son corps. Il s’enfonçait, inexorablement. L'espoir l'abandonnait lorsqu'il remarqua la silhouette d’une femme, une dryade assurément. Elle se tenait à la lisère du bois. C’était sa chance, il reprit courage et jeta ses dernières forces dans la bataille.
Il progressa comme un forcené, faisant avec ses bras une brasse maladroite, battant avec ses jambes la matière poisseuse. À bout de force il rejoignit la silhouette. Immobile, elle le contemplait. Il devinait ses traits, son sourire attristé son regard impassible. Elle n’aurait qu’à tendre le bras, pour qu’il saisisse sa main. 
Il la supplia avec les derniers relents de son souffle lourd.

« Aidez-moi, pour l’amour de vous. Pour l’amour de moi. Je vous en pris. »

La belle n'esquissa pas même un geste. Sa peau, blanche comme le marbre, ne frémit pas. Quant à son regard, toujours plongé dans celui de Sébastian, il ne pouvait ignorer son calvaire. Mais il ne se détourna pas. Et lorsque le visage blême du chasseur fut recouvert par les eaux noires, assassine et vorace, le masque de la dryade ne se départit pas de son sourire.

Une brise compatissante qui tournoyait par là fut la témoin impuissante de cette scène déchirante. Ne pouvant sauver le chasseur elle emporta tout de même avec elle, comme un trésor, les derniers mots du malheureux
.
La petite brise souffle depuis, à l’oreille des promeneurs venus contempler la statue de la dryade qui surplombe les eaux noirs de cette forêt maudite, l'ultime supplique du malheureux Sébastian :

« Faut-il avoir un cœur de pierre, faut-il avoir un cœur… »

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